Alors, quoi de neuf à la galerie Reuter Bausch?
Des couleurs dont on dit qu'elles sont narratives. En tout cas, de la peinture. Selon trois artistes, les Luxembourgeois Arny Schmit et Thierry Harpes (photo ci-dessus, œuvre open premises, 2020 & série Arles, 2021), et le Français Pascal Vilcollet. Un point commun? Le travail en couches.
Dans ses huiles sur carton – «matériau pauvre sinon écolo» –, ironiquement intitulées Maikäfer flieg (Coccinelle vole) comme une comptine, Arny Schmit met en abîme un monde régi par la matérialité, cela qui percole dans la dictature des apparences, cela qui infecte notre rapport au vivant. C'est une série qui parle de l'arbre, de la forêt. Paysage organique, sauvage. A la lisière d'un conte fantastique, hirsute, noyé dans des tons surréels, un vert oxydé ou une sanguine – technique prisée à la Renaissance – , où par grattage/frottage de la matière à l'aide d'un coton-tige, du blanc gicle, qui troue la vision, comme une lumière triomphant de l'apocalypse.
Mais la lumière, c'est aussi/parfois l'effet d'un tube néon, élément industriel, lié à l'activité humaine, greffé comme une sculpture à l'image de la nature fantasmée, sinon perdue: un bouturage singulier, à la fois héritier du Bauhaus et critique quant au désastre environnemental. La séduction artistique n'empêche pas la colère de suinter, tout au contraire.
En de grands formats qui témoignent de ses qualités de coloriste, Pascal Vilcollet, artiste parisien (né en 1979) d'abord fondu d'hyperréalisme, s'intéresse au fond, peint à l'huile, une huile appliquée en couches superposées et brossées (eh non, même si c'est à s'y méprendre, ce n'est pas du spray), où il libère/disperse des traits primitifs, comme une écriture automatique, soit: autant de fins signes de nature variée, parfois sexuelle.
Résultat des courses, une œuvre ni figurative, ni abstraite, sans syntaxe ni logique, mais éminemment poétique, tendue par un geste furtif, ce qui situe Vilcollet dans le legs d'un Cy Twombly, artiste américain (1928-2011) expert, dit-on, en «frémissement de l'être».
Avec le Luxembourgeois Thierry Harpes, né en 1991, importance du fond il y a aussi, et de la couche, et de la profondeur – la preuve avec des travaux sur plexi, ou découpés sur bois, réalisés tantôt à Berlin où il vit, tantôt à Luxembourg pendant le confinement. Toutefois, mon coup de cœur se situe ailleurs, du côté de sa série de 10 petits formats commis à Arles.
Tout commence sur un balcon en fer forgé, figuré en quelques coups d'arabesques noires qui se détachent sur les surfaces colorées, agencées dans l'espace. De là, partant de la fenêtre, ouverte/fermée, le champ des possibles se déplie, le dehors se mêle au-dedans, le paysage rêvé, gorgé de bleu, et l'absence, celle du grand-père, incarnée par quelques lignes schématisant un fauteuil roulant, plongé dans la lumière du jaune, du rouge, du bleu encore. Il y a quelque chose de l'ordre de l'inventaire, où cohabitent motifs géométriques simples, lignes graphiques, plans de couleurs, vraie et fausse abstraction. C'est à la fois enraciné et imaginaire. Un mélange de Matisse et de Prévert.